Des assistants sexuels pour les personnes handicapées ?

Cet article a initialement été publié en février 2011 sur amouretsexualite.com.

Qu’est-ce que l’assistance sexuelle pour les personnes handicapées ? Qui est pour, qui est contre, et pourquoi ? Est-ce de la prostitution ? Est-ce un droit ?

Interrogée en janvier 2011 sur la possibilité pour les personnes handicapées de recourir à des assistants sexuels, la ministre française de la Solidarité et de la Cohésion sociale Roselyne Bachelot s’y est déclarée formellement opposée.

L’assistance sexuelle pour les personnes handicapées existe légalement depuis plusieurs années dans d’autres pays d’Europe : l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, et plus récemment la Suisse. Les personnes qui l’exercent sont issues des milieux médical, paramédical et de la prostitution. Toutes doivent avoir suivi une formation spécifique, après sélection.

En France, le député UMP Jean-François Chossy a été missionné par le Premier ministre pour réfléchir à l’évolution des mentalités et du regard de la société sur les personnes handicapées. Cette réflexion inclut une proposition de loi visant à créer le statut d’assistant sexuel.

Qu’est-ce que l’assistance sexuelle ?

Il s’agit de proposer, contre rémunération, des services sexuels à des personnes handicapées. Cela peut aller de caresses sensuelles à la pénétration, en passant par des pratiques orales. Formé(e)s, les assistantes et assistants sexuels doivent faire preuve d’écoute et de respect.

Qui est pour et pourquoi ?

Parmi les défenseurs de l’assistance sexuelle en France, on trouve la Coordination Handicap et Autonomie (CHA), gérée par des personnes handicapées physiquement, et le Collectif Handicaps et Sexualités (CHS), qui vient de créer l’association CH(S)OSE. L’objectif de cette association est de « militer en faveur d’un accès effectif à la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap, notamment à travers la création de services d’accompagnement sexuel » (1).

Les assistantes et assistants sexuels dans les pays où l’assistance sexuelle existe, ainsi que les personnes souhaitant pouvoir se former à ce métier en France, militent également pour la création du statut d’assistant sexuel dans notre pays.

Enfin, certains parents dont les enfants sont handicapés recourent ou souhaiteraient pouvoir recourir à l’assistance sexuelle.

L’argument principal avancé en faveur de l’assistance sexuelle est l’accès à une vie affective et sexuelle des personnes handicapées, et notamment de celles qui le sont lourdement. On pense ici aux personnes handicapées physiquement, mais cela concerne également les personnes handicapées mentalement.  Le fondement sur lequel repose l’assistance sexuelle est l’idée d’un droit à une vie affective et sexuelle. La notion de « soins érotiques » est parfois utilisée pour désigner la pratique de l’assistance sexuelle (2).

Qui est contre et pourquoi ?

Plusieurs mouvements féministes, comme Femmes solidaires ou la Ligue du droit international des femmes sont contre l’assistance sexuelle, dans la mesure où selon elles, il s’agit de prostitution, et qu’elles considèrent celle-ci comme un des hauts lieux de la violence contre les femmes (3).

En tant que ministre en charge du droit des femmes, Roselyne Bachelot s’oppose également à la création du statut d’assistant sexuel en France. Interrogée lors d’une émission de radio, elle a répondu à l’animateur de l’émission : « J’entends la misère de certaines personnes handicapées. Vous avez peut-être un fils, une fille, un petit-fils, une petite-fille. Est-ce que vous lui conseilleriez ce métier d’assistant sexuel ? » (4)

L’assistance sexuelle est-elle une forme de prostitution ?

La prostitution consiste à échanger des relations sexuelles contre rémunération. Or, l’assistance sexuelle consiste à proposer des services sexuels contre rémunération aux personnes handicapées. Le point commun est évident. Les différences sont également réelles. Tout d’abord, l’assistance sexuelle est, pour le moment, restreinte quant à sa cible : les personnes handicapées. Par ailleurs, l’assistance sexuelle nécessite une formation spécifique. Enfin, cette dernière se positionne comme une aide (« assistance »). Il reste qu’il s’agit bien d’échanger des services sexuels contre de l’argent. Que cela soit « pour la bonne cause » y change-t-il quelque chose ? D’ailleurs, dans les pays où l’assistance sexuelle existe, elle est exercée notamment par des prostituées.

La représentation du sexuel

La différence essentielle qui pourrait exister entre l’assistance sexuelle et la prostitution pourrait être l’image du sexuel dans l’une et l’autre pratique. Ainsi, le sexuel serait plus « sale » et malsain dans la prostitution, alors qu’il serait plus « propre » et sain dans l’assistance sexuelle. Seraient opposées ainsi deux conceptions du sexuel, sur le modèle de l’opposition entre l’érotisme et la pornographie.

Or, une telle opposition pose problème et ne va pas de soi. En effet, elle consiste à opérer un clivage dans le sexuel, selon une approche dualiste : le bien et le bon d’un côté, le mal et le mauvais de l’autre. Mais le sexuel ne répond pas à de telles facilités purificatrices, ainsi que le montre la psychologie de la sexualité, bien plus complexe et nuancée que cela. Et après tout, il n’y aurait pas de raison d’interdire des pratiques jugées perverses dans le cadre de l’assistance sexuelle, si les protagonistes sont consentants. En effet, au nom de quoi pourrait-on interdire à des personnes handicapées la possibilité d’assouvir certaines de leurs pulsions si elles trouvent un assistant sexuel qui est d’accord, alors qu’on ne l’interdit pas pour les personnes non handicapées ? Ce serait là une discrimination, au nom d’une morale sexuelle mal venue. Car si l’on considère que les personnes handicapées doivent pouvoir accéder à un certain épanouissement sexuel, alors il faut tenir compte de ce qui peut constituer un tel épanouissement pour chacune d’elle prise individuellement. Or, pour certaines d’entre elles, leur épanouissement sexuel peut passer par des pratiques jugées perverses, comme les pratiques sadomasochistes par exemple, et pas seulement par des caresses sensuelles.

La notion de droit à une vie affective et sexuelle

Si avoir une vie sexuelle est considéré comme un droit, et que c’est au nom de ce droit que l’on exige – tel un devoir social donc – que soit créé le statut d’assistant sexuel qui est une forme de prostitution, alors il n’y a aucune raison de restreindre ce droit et ce devoir aux personnes handicapées. Les personnes handicapées ne sont pas les seules à pouvoir souffrir de misère sexuelle et/ou affective. Pourquoi exclurait-on les personnes non handicapées (ou dont les handicaps sont ailleurs) d’un tel dispositif d’assistance sexuelle ? Or, ce dispositif existe déjà pour certaines d’entre elles : la prostitution. Ainsi, si un statut d’assistant sexuel était créé en France, il faudrait revoir, en toute logique, la législation sur la prostitution. En effet, si celle-ci est légale, son organisation ne l’est pas (interdiction du proxénétisme et du racolage). Or, la création d’un statut d’assistant sexuel impliquerait la légalisation de certaines formes de proxénétisme et de racolage (démarchage auprès de clients potentiels).

On pourrait rétorquer que la prostitution est une réponse misérable à une misère sexuelle, ou bien qu’il s’agit d’un moyen pour des hommes (principaux consommateurs de la prostitution) d’assouvir des fantasmes qu’ils ne réalisent pas avec leur femme. Autrement dit, la prostitution serait un moyen peu satisfaisant de répondre à une insatisfaction sexuelle. Mais est-ce différent concernant l’assistance sexuelle ? Son existence ne pointe-t-elle pas des insatisfactions sexuelles chez les personnes handicapées qui y recourent, quelles que soient les raisons de ces insatisfactions ?

Quant à savoir si la prostitution, y compris sous la forme de l’assistance sexuelle, apporte des satisfactions affectives, on peut en douter dans la mesure où le principe de ces pratiques est d’exclure les sentiments amoureux, ce qui se traduit souvent par l’interdiction du baiser. Au moins, dans certains cas, de la tendresse peut-elle être échangée.

Enfin, la notion de droit pose question : que faut-il entendre au juste par droit à une vie sexuelle et affective ? En quoi consisterait-il ? Cela signifierait-il qu’il y aurait une obligation à le satisfaire ? Et de quelle manière dans ce cas ? On n’imagine pas que l’on puisse obliger qui que ce soit, par devoir, à avoir des relations sexuelles avec quelqu’un qui ferait valoir son droit, ni à éprouver des sentiments amoureux…

Pour conclure

L’assistance sexuelle ne semble pouvoir légitimer d’être dissociée de la prostitution. Il peut exister plusieurs formes de prostitution, et l’assistance sexuelle apparaît comme l’une d’entre elles, que l’on peut considérer comme plus honorable que d’autres si l’on veut, notamment du fait qu’elle nécessite une formation et un encadrement.

La question de savoir s’il faut créer un statut d’assistant sexuel en France pose alors plus largement la question de la place de la prostitution dans notre société. Elle soulève aussi un autre problème : celui de la misère sexuelle, qui ne touche pas que les personnes handicapées, ni seulement les hommes.

Post-scritum : à signaler, le documentaire de Jean-Michel Carré, Sexe, amour et handicap, diffusé le 24 février 2011 sur France 2.

(1) Communiqué de presse du 10 janvier 2011.

(2) Voir par exemple le document « L’Aide Sexuelle Directe » sur le site de l’Association socialiste de la personne handicapée en Belgique.

(3) Voir Claudine Legardinier, Malka Marcovich, Sabine Salmon, Annie Sugier, « Assistante sexuelle pour handicapés ou prostitution ? « , Libération du 04/08/09.

(4) Roselyne Bachelot, Europe 1, interview de 7h40, le 7 janvier 2011. L’argument que je mets ici en avant (la ministre en a utilisé d’autres) n’est pas tenable. En effet, il fait appel à l’émotion et à des critères subjectifs (Marc-Olivier Fogiel, qui interrogeait la ministre, a d’ailleurs répondu par l’affirmative). D’une manière générale, faire appel à l’émotion pour prendre des décisions politiques ne peut servir de fondement à une démocratie digne de ce nom. Pourtant, c’est un procédé très utilisé de nos jours, dans nos sociétés de l’émotion.