Covid-19 : Évaluation du risque de contamination en fonction des types de situation

La distance physique d’1 à 2 mètres serait insuffisante

Une analyse des preuves de l’intérêt de la distanciation physique pour lutter contre la propagation du coronavirus SARS-CoV-2, à l’origine de la maladie Covid-19, a été publiée en ligne le 25 août 2020 par le British Medical Journal (BMJ). Les auteur.es regroupent des chercheuses et chercheurs et des médecins cliniciennes et cliniciens de l’Université d’Oxford, de l’hôpital Saint Thomas de Londres, et du laboratoire sur la transmission des maladies par la dynamique des fluides de l’Institut de technologie du Massachusetts aux États-Unis.

Selon ces auteur.es, la distance recommandée dans de nombreux pays, variant de 1 à 2 mètres1, reposent sur des connaissances obsolètes de la physique des émissions respiratoires, qui remontent à la fin du XIXe siècle et à la première moitié du XXe siècle. Ces préconisations s’appuient sur l’hypothèse que les grosses gouttelettes (postillons) ne sont pas projetées au-delà de 2 mètres. Mais les études plus récentes en la matière qui mesurent la distance horizontale de propagation des gouttelettes, au demeurant peu nombreuses (10), et réalisées pour l’essentiel entre 2006 et 2019, indiquent presque toutes (8/10) une propagation supérieure à 2 mètres en quelques secondes (3 à 4 mètres environ, jusqu’à 7 à 8 mètres dans certaines conditions : chanter, tousser, éternuer, expirer fortement)2.

Sur ces bases, les auteur.es interrogent également l’approche dichotomique des gouttelettes en deux catégories : celles de grande taille et celles de petite taille. Les premières sont considérées comme tombant au sol plus rapidement qu’elles ne s’évaporent, tandis que les secondes, dites aérosoles (en suspension dans l’air), s’évaporent plus rapidement qu’elles ne tombent. Mais, selon les auteur.es, les gouttelettes expirées existent sur un continuum de tailles, et ne peuvent être catégorisées de façon aussi duale. Les conditions d’environnement de l’expiration, comme le flux d’air ambiant et l’air exhalé, jouent en effet un rôle dans la distance parcourue par les gouttelettes, quelle que soit leur taille.

Ainsi, chanter, tousser, éternuer ou faire du sport génère des nuages de gaz chauds et humides, à forte impulsion d’air expiré contenant des gouttelettes respiratoires. C’est dans ce type de conditions que des distances de propagation de 7 à 8 mètres ont été observées. Ceci permet de rendre compte des foyers de contamination détectés dans une chorale aux États-Unis, où une personne en a infecté au moins 32 autres clairement identifiées, et 20 autres probables, soit plus de 50 au total, et ce malgré la distance physique. D’autres foyers ont été détectés dans des salles de sport, lors de matchs de boxe, dans des centres d’appel et des églises, alors que les personnes soit chantaient, soit parlaient fort ou encore haletaient.

Les auteur.es rappellent que le risque de transmission est beaucoup plus important en intérieur qu’en extérieur, en renvoyant à l’étude réalisée par une équipe de recherche commissionnée par le ministère de la santé japonais à ce sujet3. Les gouttelettes respiratoires ont en effet tendance à se diluer plus rapidement dans des environnements extérieurs bien aérés, ce qui réduit le risque de transmission.

Le risque d’exposition et de transmission est aussi modulé par les systèmes de flux d’air (climatisation, ventilation, filtrage ou non, flux de recirculation de l’air, etc.). Enfin, il est globalement considéré que la durée d’exposition entre également en ligne de compte, bien que ce paramètre n’ait pas été précisément mesuré.

Un tableau d’évaluation des risques de contamination

Considérant tous ces critères, les auteur.es proposent un tableau du niveau de risque de transmission selon les conditions croisées : port ou non du masque, intérieur ou extérieur, air bien ou mal renouvelé, niveau d’occupation de l’espace. Le niveau de risque est évalué en cas de présence d’une personne porteuse du coronavirus et asymptomatique. Il est considéré comme plus élevé si une personne symptomatique est présente (mais les auteur.es rappellent que les personnes symptomatiques sont supposées rester chez elles).

Tableau traduit en français par Jérémy Anso et complété par Tania Louis, docteur.es en biologie.

 

En se fondant sur ce tableau, on peut donner quelques exemples de situations avec leur niveau de risque. Se promener dans une rue bien aérée sans masque où peu de personnes circulent alors qu’on ne fait que les croiser, et que celles-ci restent silencieuses ou parlent sans crier, constituerait une situation à faible risque. De même si le contact avec les autres personnes est prolongé mais que tout le monde reste silencieux. En revanche, être exposé durablement à une personne contaminée et asymptomatique faisant du sport dans une salle bien aérée sans porter de masque représente un risque élevé d’être soi-même contaminé. Même chose dans un contexte non sportif si la personne asymptomatique crie (ou parle fort) ou chante. Cela correspond également à la situation dans une salle de cinéma bien aérée (renouvellement de l’air par le système de ventilation, et pas seulement recirculation du même air par climatisation), sans port du masque, où les spectateurs et spectatrices rient régulièrement si le film s’y prête. Le risque est en revanche moyen si tout le monde reste silencieux. Si tout le monde porte le masque, il devient faible, même si les personnes rient.

Une autre situation, courante, est celle du service en salle de restaurant ou de café (et non en terrasse). On comprend bien qu’il est nécessaire d’ôter son masque pour consommer. Mais, selon le niveau de renouvellement de l’air dans l’espace intérieur, la situation est celle, en plus de l’absence de masque, d’un contact prolongé ou les gens parlent, voire crient ou chantent. Dans ce cas, le risque varie de moyen s’il y a peu de personnes dans la pièce et que personne ne parle fort ni ne chante, tandis que la salle est bien aérée (par exemple grandes fenêtres et baies vitrées ouvertes, système d’aération adéquat), à élevé s’il y a peu de personnes mais qu’elles parlent fort ou chantent, ou si le taux d’occupation est élevé, y compris si tout le monde reste silencieux.

Les réunions de famille ou d’ami.es en appartement mal aéré (fenêtres fermées ou seulement entrebâillées), sans port du masque, sont également potentiellement à risque élevé. Il s’agit d’une situation dont on peut estimer qu’elles vont se multiplier dans l’hémisphère nord avec l’automne et l’hiver prochains, alors que les températures vont baisser, incitant à des interactions sociales en lieu clos.

La question se pose également pour les écoles, collèges, lycées et universités. Le niveau de risque de contamination va dépendre des conditions de chaque salle de cours, et du port du masque, y compris à l’école primaire.

Le tableau proposé par les auteur.es n’incluent pas d’autres facteurs qui peuvent faire varier le niveau de risque de contamination, comme la susceptibilité individuelle à l’infection, le niveau d’excrétion de la ou des personnes infectées en présence, les schémas de circulation de l’air dans les espaces considérés, l’endroit où l’on est placé par rapport à la personne infectée, etc. Mais il donne des indications générales précieuses, qui permettent de ne pas niveler toutes les situations sans aucune nuance, et de pointer, également, les mesures inadaptées prises par les autorités, et celles qui font défaut.

Ainsi, les auteur.es concluent que la distance physique ne peut être considérée que comme une mesure intégrée dans une approche plus large de santé publique qui inclut la gestion de l’espace intérieur et de l’air, l’hygiène des mains, le port du masque, etc. Elles et ils plaident pour la prise en considération des dernières évolutions de la recherche en matière de gouttelettes respiratoires dans l’élaboration des mesures de santé publique contre la Covid-19, la distance physique de 1 à 2 mètres n’étant pas suffisante, ni comme type de mesure, ni quant à la distance retenue en l’absence du port du masque. Des études complémentaires s’avèrent en outre nécessaires sur trois points d’incertitude : la durée limite d’exposition nécessaire pour une contamination en fonction des conditions ; l’étude détaillée des modèles de flux d’air par rapport à la source d’infection ; l’étude des modèles et propriétés des émissions respiratoires et de l’infectiosité des gouttelettes en leur sein au cours de diverses activités physiques.

La situation reste donc d’incertitude, c’est-à-dire, pour reprendre la typologie proposée par le professeur en politique scientifique et technologique Andrew Stirling, que s’y mêlent des éléments que l’on connait et d’autres que l’on ignore, en système complexe ouvert où interviennent des paramètres humains (notamment comportementaux) à propos d’un nouveau variant pathogène humain, ce qui ne nous permet pas, pour l’heure, d’avoir un niveau de connaissance suffisant quant aux probabilités de diffusion du virus selon telle ou telle voie. En ce sens, et bien que nous parlions de risque de contamination, la situation n’est pas, selon cette typologie, risquée, mais incertaine, une situation risquée concernant, pour le chercheur, une situation connue, avec des probabilités calculées et des effets possibles recensés, comme pour une épidémie déjà bien connue et contrôlée. A ce jour, et bien que nos connaissances sur le SARS-CoV-2 et la Covid-19 s’accroissent, nous en sommes encore loin, face à une maladie contre laquelle nous ne disposons ni de traitement spécifique4, ni de vaccin (contrairement à la grippe, avec laquelle la Covid-19 est pourtant souvent comparée).

 

  1. L’OMS préconise une distance d’1 mètre dans ses recommandations aux professionnels de santé en contact avec des patientes ou patients pour lesquel.les la Covid-19 est suspectée. En France, les autorités nationales préconisent de respecter une distance d’au moins 1 mètre avec les autres.
  2. Voir Prateek Bahl et al., « Airborne or Droplet Precautions for Health Workers Treating Coronavirus Disease 2019? » The Journal of Infectious Diseases, 2020. Lydia Bourouiba, du laboratoire sur la dynamique des fluides dans la transmission des maladies, est co-auteure des deux publications.
  3. Hiroshi Nishiura et al., « Closed environments facilitate secondary transmission of coronavirus disease 2019 (COVID-19) » preprint sur Medrxiv.org.
  4. L’efficacité de l’hydroxychloroquine, associée ou non à l’azithromycine, dont il a été beaucoup question, n’a pu être établie à ce jour. Voir notamment la méta-analyse de Thibault Fiolet et al., « Effect of hydroxychloroquine with or without azithromycin on the mortality of COVID-19 patients: a systematic review and meta-analysis« , Clinical Microbiology and Infection, 2020.